Conseiller Prud'hommes : une espèce menacée ? Droit-travail-France – Droit Travail France

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Baisse considérable du nombre d’affaires, délai de jugement de 16 à 30 mois… La justice prud’homale va-t-elle mal ? Suite de notre dossier dédié au conseil de prud’hommes, basé sur le rapport du Sénat « La justice prud’homale au milieu du gué ».
Retrouvez ci-dessous nos articles précédents :
Conseil de prud’hommes : le déclin d’une juridiction ?
Prud’hommes : Pourquoi sont-ils de moins en moins sollicités ?
Sujet du jour, le conseiller prud’hommes.
Au cœur du rapport de 77 pages, les sénateurs Agnès Canayer, Nathalie Delattre, Corinne Féret et Pascale Grunny dressent un bilan des difficultés rencontrées par les conseillers prud’homaux, juges des conseils de prud’hommes. Avant de reprendre ces constatations, piqûre de rappel sur le conseiller prud’hommes.
Le conseiller prud’hommes est un juge non-professionnel qui siège au conseil de prud’hommes, juridiction chargée de trancher les litiges qui surviennent à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail entre employeur et salarié.
À contrario des juges du TGI qui sont des magistrats professionnels, les conseillers prud’hommes sont issus du monde du travail. Ils sont proposés sur liste par les organisations syndicales (salariés) et professionnelles (employeurs) représentatives au Ministère du travail et au Ministère de la justice, qui les désigneront.
Au cœur des conseils de prud’hommes règne un principe essentiel : la parité. Le conseil de prud’hommes est une juridiction paritaire. Cela signifie que face à la formation classique du conseil de prud’hommes (le bureau de jugement), les justiciables s’expliqueront face à 2 conseillers « employeur » et 2 conseillers « employé ». La parité femme-homme est également relativement bien respectée (48 % des conseillers prud’homaux sont des femmes).
Après ce bref rappel, il est temps d’aborder les points de difficultés soulevés par les sénateurs visés plus haut.
Au cœur du rapport, les sénateurs soulèvent un point intéressant : le manque d’acceptabilité des jugements rendus par les conseils de prud’hommes. Indicateur de ce manque d’acceptabilité, le taux d’appel qui frappe les jugements rendus par le tribunal.
Deux tiers (66,7 %) des affaires sont en effet portées face à une cour d’appel (contre 21,6 % pour les TGI ; 5,7 % pour les TI ; 14,5 % pour les tribunaux de commerce). Outre les facteurs psychologiques et économiques qui peuvent expliquer en partie ce taux d’appel très élevé, les rapporteurs soulignent également le manque d’acceptabilité des jugements rendus par les CPH pour les justiciables.
Les sénateurs, dans le cadre de leur enquête, évoquent que « La majorité des magistrats de chambres sociales des cours d’appel rencontrés […] estiment que la motivation des jugements rendus par les CPH est trop souvent lacunaire quand bien même la décision serait correcte juridiquement ». Les conseillers prud’homaux rencontreraient certaines difficultés lors du passage d’un débat oral à la rédaction du jugement. Les conseillers prud’homaux exerçant parfois des « métiers très éloignés du monde juridique ».
Pour combler ces lacunes, les fonctionnaires de greffes des CPH auraient un rôle à jouer plus important que dans les autres juridictions. Notamment pour effectuer une relecture « plus ou moins poussée des jugements afin de s’assurer qu’ils répondent bien à toutes les demandes ».
Une motivation insuffisante ou incompréhensible aux yeux des justiciables serait une des principales causes de ce taux d’appel important. Certaines données statistiques du ministère de la justice sont impressionnantes : seules 19 % des affaires traitées par les cours d’appel après une décision d’un CPH donnent lieu à une confirmation totale. 34 % à une confirmation partielle.
Le conseil de prud’hommes, dans son principe, tranche les litiges par voie de conciliation (accord, transaction entre les parties). Ce n’est qu’en cas d’échec de celle-ci que le tribunal jugera l’affaire. Toutefois, le nombre d’affaires résolues par voie de conciliation est faible : 8 % en moyenne en 2018.
Outre le fait, comme le soulignent très justement les rapporteurs, que le contentieux du travail est majoritairement conflictuel, il ressort également que les conseillers prud’hommes ne disposent d’aucune formation à la conciliation, à la médiation. Ils ne disposent que de peu de temps pour préparer les auditions de conciliation.
Il paraît certain qu’une tentative de conciliation par un conseiller non-initié à cette pratique n’a que peu de chances d’aboutir. Comment le conseil de prud’hommes peut-il remplir ce rôle premier de conciliateur sans formation adaptée à cette fonction ?
Le défaut de formation des conseillers prud’hommes est un point récurrent dans le rapport sujet de ce dossier.
Pourquoi les conseillers prud’homaux sont-ils des juges non-professionnels (issus du monde du travail) ?
Cette particularité de la justice prud’homale est aussi sa force, car les juges connaissent les réalités du monde du travail, pour être (ou avoir été) un acteur de ce dernier, que ce soit en tant qu’employeur qu’en tant que salarié. Au cœur du conseil de prud’hommes, les justiciables sont jugés par leurs pairs, qui connaissent le tissu économique local du territoire.
Toutefois, cette particularité historique du conseiller prud’hommes joue aussi en sa défaveur. La fonction de juge exige des connaissances juridiques, d’autant plus que le droit du travail et les règles qui le composent se sont complexifiées depuis quelques années (le nombre de réformes touchant le droit social en témoigne).
Dès leur désignation, les conseillers prud’hommes bénéficient d’une formation initiale à l’École Nationale de la Magistrature. Cette formation, d’une durée de 5 jours (dont 3 à distance, 2 en présentiel), est un élément déterminant de l’exercice de la fonction de conseiller prud’hommes. En effet, le conseiller prud’hommes désigné qui ne remplit pas son obligation de formation est réputé démissionnaire.
Le site officiel de l’École Nationale de la Magistrature nous donne les thématiques abordées lors de cette formation initiale : « l’organisation administrative et judiciaire », « le statut, l’éthique et la déontologie », « le procès devant le conseil de prud’hommes » et « la rédaction des décisions prud’homales ».
Les juges sont brièvement formés à la posture, à l’exercice de la fonction de magistrat et au fonctionnement des institutions. Ils bénéficient effectivement d’une formation continue de 6 semaines par mandat. Or, cette formation n’est pas obligatoire.
Les conseillers prud’homaux connaissent le monde du travail. C’est un fait et un atout à ne pas délaisser. Toutefois, ils ne connaissent pas forcément le fond du droit du travail. L’offre de formation est intéressante et essentielle, mais (à notre sens) pas encore à la hauteur des responsabilités qu’assurent les conseillers prud’homaux à ce jour.
Les rapporteurs du rapport pointent également du doigt le nombre élevé de conseillers prud’homaux. À tel point que certains conseillers ne peuvent assister qu’à quelques audiences de jugement chaque année. Comment développer une expertise suffisante en la matière dans une telle situation ?
Le renforcement de la formation des conseillers prud’homaux ne peut être efficace que si elle est combinée à une diminution du nombre de conseillers dans certains CPH. Il convient d’adapter le nombre de conseillers en fonction des évolutions démographiques, économiques et contentieuses (le nombre d’affaires).
Cette diminution permettrait aux conseillers de statuer plus régulièrement et ainsi développer leurs compétences de magistrat.
Pourquoi conseiller prud’hommes et non pas juge des prud’hommes ? Cette question semble porter préjudice à certains conseillers prud’homaux dans leurs relations avec les différents acteurs de la justice prud’homale : juges professionnels, avocats, justiciables…
Les sénateurs rapportent certaines tensions entre juges professionnels et juge non professionnels. Les conseillers prud’hommes ne seraient pas toujours perçus comme des juges à part entière.
Certains avocats, quant à eux, estiment que le conseil de prud’hommes « ne constitue qu’une étape préalable et que la phase judiciaire ne s’ouvre à leurs yeux qu’au stage de la cour d’appel ».
Ces derniers éléments s’ajoutent à un taux d’appel important, témoin de la difficile acceptation des décisions rendues par les juges du conseil de prud’hommes.
Il convient toutefois de nuancer le propos des rapporteurs, ces témoignages ne concernant que quelques individus et ne constituent pas une généralité établie.
La fonction de conseiller prud’hommes ne serait donc pas de tout repos.
Les sénateurs proposent de réaffirmer la dimension juridictionnelle du CPH à travers certains symboles comme le port de la robe pour les conseillers (ils portent actuellement des médailles), un changement de dénomination (de « conseils » à « tribunaux »). Ainsi que le renforcement de certaines exigences déontologiques comme une déclaration d’intérêt.
Vers une énième réforme de la juridiction prud’homale et de ses conseillers ?
Bastien MARIN
Juriste Rédacteur en Droit social
Droit-Travail-France.fr
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